Carnet n°1 (2004/2005)

       

• Dans une salle du Prado à Madrid existe une statue de Marie-Madeleine. Statue colorée de taille réelle où Marie est vêtue humblement d’une longue tunique à couleur et texture paille. Je suis devant cette statue et regarde les pieds nus de la sainte pécheresse. Son pied gauche avancé, le gros orteil légèrement écarté des autres doigts de pied. Je pense à cette autre Marie-Madeleine abordée autour de la gare Saint Lazare à Paris, il y a vingt-cinq ans environ. Une prostituée qui, après une saillie bâclée, m’avait, tout en me montrant son grain de beauté situé entre ses orteils, prévenu avec un court sourire : « Tu te souviendras de moi et de mon grain de beauté mon petit chéri. » Elle avait raison. Trois jours plus tard, je me découvrais une superbe chaude-pisse.

•  Pendant mes années de scolarité j’avais graffé sur les tables de classe et ailleurs, comme on dit maintenant, mon nom, en terminant sur un « s » en forme de serpent. Mon nom, comme je le disais alors, sifflait. La première fois où je me présentais à une classe en tant que professeur, pas très à l’aise, j’osais écrire sur le tableau noir mon nom et j’accompagnais cela d’une parole que je pensais a-propos : « E...., un nom qui siffle »… Je me retournai et constatai l’effet produit : trente mômes de classe de seconde, les yeux ronds, se demandant « c’est qui ce con ? » Mentalement c’est sous le bureau que je rampai et mangeais la poussière…

•  C’était une gamine joyeuse venant en cours plutôt le sourire aux lèvres et le foulard palestinien autour du cou. Et puis le foulard s’est obscurci, il est remonté pour couvrir les cheveux. Elle fut renvoyée du lycée.

•  Dans une société obsédée de santé et de jeunesse éternelle, la punition suprême est le vieillissement. Personne ne leur a donc dit qu’il n’y aurait pas, de toutes façons, de survivants ?

•  « Quand avez-vous le plus souffert ? » demande Sophie Calle dans son exposition à Beaubourg. J’essaye de répondre à cette question et ne trouve pas de réponse, contrairement à tous les souffreteux qui lui ont répondu. Plutôt si, j’ai la réponse : je n’ai jamais souffert. Je ne parle évidemment pas des chagrins et des petits bobos à l’âme. Je parle de l’insupportable. Je n’ai donc jamais souffert. Cela veut-il dire que je n’ai jamais vécu ?

•  L’Algérienne de Matisse. Le violoniste à la fenêtre du même. Encore Matisse avec Lorette à la tasse de café. Paul Klee maintenant. Flèche dans un jardin. J’avance. Les villas florentines, Port et voiliers. Klee pour toujours. Kandinsky est En été. Des peintres que l’on reconnaît dès qu’on les respire. Je nage dans le musée porté par les couleurs. Je me noie avec délectation.

•  Je lui dis : « Ne me touche pas ! » Elle me répond : « Tu te prends pour Jésus ? » Je pense : « Espèce de pute ! »

 

•           L’allégorie m’emmerde. Pourtant celle de La calomnie de Botticelli semble plaisante. Mais laquelle des deux femmes est l’Ignorance et laquelle est le Soupçon ? Soupçon et Ignorance conseillent Midas aux oreilles d’âne. La Haine est reconnaissable. La Calomnie aussi qui tire les cheveux de l’Innocence. La Vérité est nue évidemment. Mais qui sont les deux autres ? La Traîtrise disent les uns, l’Envie énoncent les autres. La figure d’à côté est parfois appelée Fraude ou Fausseté ou Supercherie. Au total on s’en fout. On se traîne dans ce tableau. On s’emmerde dans l’allégorie, même avec Botticelli. Je retourne au Printemps.

•  « Un homme nouveau. Pas de passé. Rien que du futur. » Les tyrannies naissent ainsi.

•  Elle me dit « T’es qu’un petit pépère bien installé ». Elle s’est vue avec son gros cul ?

•  Et l’Ecole B. qui me demande d’évaluer les élèves en mesurant (avec un double décimètre ?) leur capacité d’analyse, leur capacité de synthèse, leur curiosité, leur détermination (à quoi ?) leur expression écrite, leur expression orale, leur sens de la méthode et leur sens critique. Ouf ! Comme disent les élèves.