Week-end à Dublin
Je m'étais dit qu'un jour j'amènerais Anne à Dublin
pour lui faire voir l'incroyable studio de Francis Bacon à la Hugh Lane Gallery
ainsi que la fabuleuse bibliothèque de Trinity Collège.
Nous avons décidé de nous y rendre ce week-end, le week-end du 27 au 28 février.
Les billets (Aer Lingus) et l'hôtel (Hilton) furent obtenus sur Internet à des
prix avantageux (respectivement 25 € et 60 €). Tout se déroulait parfaitement,
cela faisait longtemps que nous n'avions pas entrepris un petit week-end de ce
type, c'était bien. Trop bien pour ne pas penser qu'il y avait aiguille
anguille sous roche.
Mes premières appréhensions sont venues lorsque j'ai
entendu que les aiguilleurs du ciel allaient déclencher une semaine de grève
pour défendre leurs maigres avantages (6000 € de salaire mensuel au bout de 10
ans d'ancienneté) et leurs terribles conditions de travail (150 jours maximum de
travail par an).
Mais qu'à cela ne tienne, nous avions l'avantage de partir de Roissy où
seulement (!) 15 % des vols s'annulaient. Mais voilà, cela ne suffisait pas :
voici que vendredi, à la veille de notre départ donc, nous apprenions
que, ce week-end, la ligne B du RER ne fonctionnerait pas au delà d'Aulnay-sous-Bois, qu'il nous faudrait
descendre à Mitry Claye ("où
c'est ce trou ?"), et, qu'à cet endroit, une navette de bus nous
permettrait d'atteindre notre avion. Il suffirait de se lever tôt pour éviter
cet écueil.
Le samedi nous nous levons donc à 6 h 45 pour prendre
le RER A qui nous conduit à Paris station Châtelet
Les Halles. Là nous avons la joie de voir que la ligne B fonctionne pour la
destination de Roissy puisque cette destination est clairement indiquée sur le
panneau d’affichage. Nous embarquons donc avec beaucoup d’autres pour rejoindre
notre aéroport. Nous arrivons à Aulnay-Sous-Bois
sans encombre. Mais voilà… Ici le RER ne se dirige pas, comme indiqué au
départ de Paris, vers Roissy mais vers Mitry
Claye.
Arrivés au lieu-dit Mitry, une seule
et première annonce nous est faîte : « une
navette de bus est à votre disposition et vous attend à la sortie de la gare. »
Un bus toutes les 10 minutes est-il même précisé. Nous descendons de notre RER
avec une cinquantaine d’autres personnes et là… là ça sent franchement la
galère. Il est 8 h 50. Avec effarement, nous voyons 200 à 300 personnes,
arrivées avant nous, qui attendent un bus. Trois pauvres préposés RATP essayent
vainement de canaliser les personnes qui piétinent et qui commencent, pour
certaines, sérieusement à s’énerver. Pas une seule barrière pour guider et
organiser l’attente. Une inorganisation totale. Une voiture de flics est bien
là mais elle va s’éclipser dans les 10 minutes qui vont suivre. 300 personnes
et pas un seul bus en vue. Pas un seul taxi non plus. Il est 9 h 05, notre
avion est à 10 h ça commence à sentir le roussi.
Pourtant un bus se pointe. Les agents de la RATP avec leur petits bras
cherchent à repousser la meute (à traiter les individus comme des animaux ils
finissent par se conduire comme tels) qui se prépare à foncer sur le petit bus
solitaire mais bien appétissant tout de même. 70 places à tout caser
casser – sachant que certains d’entre nous sont accompagnés de valises qui font
trois fois leur poids – ça va saigner ! Anne et moi - nous avons déjà eu l’occasion
de le vérifier - ne sommes pas vraiment des combattants dans ce genre de
circonstances, nous allons nous faire piétiner, c’est sûr…
Mais un miracle se produit (« Seigneur
Tu existes donc ?! ») : le bus s’arrête de façon telle que
ses portes avant s’ouvrent face à Anne et moi. C’est la ruée ! Nous n’avons
pas besoin d’agiter nos petits pieds pour avancer et entrer dans le bus, la
foule nous pousse et nous porte au sein même du bus à l’intérieur duquel une
salariée de la RATP (1100 € nets ?) hurle qu’elle voudrait sortir et ne
pas mourir ici (« Ecrase la vieille,
nous on monte ! Y’en aura pas pour tout l’monde ! »).
Combien sommes-nous écrabouillés dans le ventre de ce bus ? Celui-ci ne parvient évidemment pas à fermer ses portes. Ça commence à taper sur les parois du bus qui tangue dangereusement. On palabre, repousse certains assaillants, les portes, dans un dernier souffle, se referment enfin. Il est 9 h 15. Le bus démarre, laissant sur le carreau 400 personnes, car, entre temps d’autres RER ont déversé leur cargaison de voyageurs désorientés et furieux ; et je ne parle pas des voyageurs étrangers ne parlant pas un mot de français et à qui rien n’a été traduit (« Welcome to France ! »). On a d’ailleurs, Anne et moi, un jeune Américain qui nous suit depuis Châtelet Les Halles et qui ne nous quitte pas d’une semelle ayant compris que sa survie dans cette aventure dépendait largement de sa capacité à ne pas nous perdre des yeux et qui a réussi – comment ? - à monter à bord du bus de la mort.
Le
bus est tellement chargé qu’il tape son fond de caisse à la première bosse
rencontrée sur la route. Il va mettre 15 minutes à arriver à Roissy. Les uns et
les autres nous nous interrogeons vers la direction réelle du véhicule. En
effet, certains doivent aller à Roissy 1, d’autres à Roissy 2, le chauffeur ne
dit pas un mot et nous décharge en un lieu par moi inconnu. « Où sommes-nous ? Il peut nous le dire
le Monsieur ? » Pas un mot. Quelques uns des voyageurs, plus
affutés, reconnaissent l’endroit où nous avons été balancés et que l’on nomme - ai-je crû comprendre - Roissy 3. Mais ici, il
n’y a pas d’avion, il faut prendre un train navette qui fait la jonction avec
Roissy 1 et 2. Il est 9 h 25.
C’est reparti ! Le train navette arrive. Nous montons à bord. Il nous
traîne, après deux arrêts, jusqu’à Roissy 1, là où notre avion nous attend. Il est
9 h 40.
Et bien non, il ne nous a pas attendus l’avion… L’enregistrement est terminé. On n’accepte plus personne à bord. Au guichet d’Aer Lingus on nous propose un autre avion à 15 h 50. Avec 75 € de pénalité par personne… (« Je voudrais ici remercier les transports en commun pour leur action en général et la RATP en particulier et je ne voudrais pas manquer l’occasion de rappeler ce slogan si extraordinaire utilisé par une entreprise nationale amie et concomitante – je veux parler de la SNCF – "A nous de vous faire préférer le train"-, vraiment merci, merci à tous…sans vous je ne serais pas là où je suis…enfin... vous nous devez 150 € bande de sales cons... »
Nous
sommes donc arrivés tout de même à Dublin. Dublin en pleine euphorie après la
victoire, au rugby, de l’Irlande sur l’Angleterre. Dublin, le samedi soir, c’est
plein de jeunes gens qui boivent à plus soif. Dublin, c’est des groupes de
jeunes filles qui se sont maquillées, habillées (très peu vêtues d’ailleurs
et souvent très courtement avec des chaussures à talons aiguilles, « Mon Dieu, délivrez-moi de la tentation… »),
aguicheuses, bruyantes et rieuses (« Amen »).
J’ai
donc pu montrer Dublin à Anne. L’exposition A
terrible Beauty qui célébrait le centenaire de la naissance de Francis
Bacon, et puis son atelier sédimentaire. Et encore la magnifique bibliothèque de
Trinity College.
Le
retour s’est fait sans problème. D’abord de Dublin à Paris. Puis de Paris à
notre domicile. En utilisant le taxi, que nous avons préféré aux transports en
commun pour ce retour (« Tant pis
pour la planète ! C’est d’la
faute à la RATP ! »). Et comble de bonheur, la toiture de notre maison
ne s’est pas envolée, ni vers Dublin ni
vers aucune autre destination… "Toi toi mon toit... Toi toi mon tout mon roi... Les papillons en l'air et les fourmis par terre... Chacun est à sa place..."