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Chroniques du misanthrope
15 janvier 2012

Rezvani ou les années limites

transistor eclateC'était samedi soir. Après avoir regardé le seul film des frères Cohen que je n'avais pas encore vu (Intolérable cruauté), film très moyen, je zappais sur les différentes chaines de télévision, du multiplex footballistique aux crétineries diverses et variées, pour aboutir (FR3 ? La Cinq ? Arte ? Je ne sais plus) sur un visage que j'identifiai assez vite, même si celui-ci était désormais encadré de cheveux blancs et marqué de boursoufflures et effondrements divers, j'identifiai donc cet écrivain qui avait beaucoup compté pour moi, Serge Rezvani.


Rezvani est l'écrivain qui, lors de mon adolescence, m'a sorti de la littérature de science fiction où je m'étais réfugié, frêle boutonneux encore timide, mais déjà misanthrope. Cela s'était passé de la façon suivante : à la recherche de nouveaux romans de SF, j'avais acheté, comme je le faisais souvent à l'époque, et pour les romans et pour les disques, j'avais acheté à la lecture du seul titre du livre le roman intitulé "Les années-lumière" qui pour moi évoquait sans doute l'univers de la science fiction, et qui plus est, il y avait le nom de l'auteur "Rez-va-ni", nom  concommitant d'un auteur reconnu des amateurs de SF, Zelazny, auteur dont j'avais lu et apprécié "Toi, l'Immortel" (j'étais très Présence du Futur à l'époque). Et c'est ainsi que j'ai découvert un roman autre, une écriture inventive, une narration qui m'a subjugué, un roman qui parlait de mon époque, qui soulevait des interrogations qui étaient les miennes aussi ; j'ai poursuivi avec "Les années-Lula", suis tombé amoureux de cette héroïne sublime, d'autant plus sublimée lorsque j'ai eu l'occasion de voir les photographies représentant la véritable Lula. L'amour fou qui semblait les réunir, elle et lui, représentait l'idéal de sentiment du pur adolescent que j'étais. Et mon attachement à Rezvani a été encore plus grand quand, quelques années plus tard, je suis allé faire les vendanges à la Garde-Freinet (invité par une copine étudiante qui avait quelques vues sur moi - Si ! Si ! A l'époque j'étais très désirable...), logeant dans la maison où Rezvani avait vécu quelques mois avant de s'établir à La Béate. C'est donc dans cette précédente maison de Rezvani, sans eau et sans électricité, que j 'ai réussi à échapper aux velléités de mon hôte, que mes amis et moi appellions - à 19 ans on peut être plein de pustules et néanmoins sans scupule - La Grenouille, au vu de ses yeux quelque peu globuleux derrière de rondes lunettes. Et non seulement je sauvai ma vertu mais je réussissais le soir, à la faible lumière des bougies, après la coupe des raisins, maison d'écrivain oblige, à écrire une petite nouvelle "La chanson du transistor éclaté*" dont j'étais très fier au point de l'auto-publier. A 20 ans on n'a peur de rien, même pas du ridicule...

35 ans après, je retrouvais donc cet écrivain dont la lecture m'avait sorti de la juvénile lecture de SF, aiguillé vers d'autres rivages plus consistants et montré que la littérature pouvait aborder la réalité contemporaine avec inventivité (après "Les années-lumière" et " Les années Lula" j'avais lu "Les Américanoïaques",  "La voie de l'Amérique" et même les "Chansons silencieuses", et puis, et puis je me suis lassé et suis passé à d'autres lectures). Par ailleurs, je suis persuadé que si je tentais de relire ces livres je les trouverais illisibles, mais là n'est pas la question ; je préfère donc rester sur le bon souvenir et me remémorer la rupture fondamentale qu'a représentée leur lecture pour moi. 35 ans après, j'avais Rezvani sur mon écran m'expliquant la douloureuse fin de Lula, racontant, émotion, la vie fusionnelle avec Lula. Puis on voyait une certaine Marie-José Nat parler du décès de son ancien compagnon Michel Drach. Que venait faire cette actrice insipide dans cette émission ? Etait-ce une émission sur la perte de l'autre, sur l'absence ? Pas du tout ! Je comprenais alors que Rezvani et Marie-José Nat étaient désormais ensemble ! Ensemble ! Qu'ils se présentaient comme couple et le faisait savoir par cette indécente lucarne. Ne pouvaient-ils donc se taire ? Et les voilà de se prendre par l'épaule, de nous laisser admirer, leur magnifique maison (c'est surtout celle de Marie-José Nat) à Bonifacio. Et Reznani de nous expliquer aussi les différents tableaux aux différents âges de la Marie qu'il avait peints - comme pour se l'approprier, disait-il - (je n'ai jamais goûté la peinture de Rezvani plutôt plate et froide). [exemple]
J'expliquai à Anne combien me peinait et même m'enrageait de voir et d'entendre cela ! Rezvani et Lula pour toujours, merde ! Un couple pour l'éternité ! Pas de place pour un(e) autre ! Et Rezvani d'avoir crié sur tous les toits, sur tous les tons, combien l'amour de Lula était infini et combien l'amour porté à Lula était éternel, que jamais de sa perte il ne se remettrait, mais finalement c'est toujours le même renoncement, la vie qui continue, et Anne de me dire qu'il faut bien continuer à vivre (le pourras-tu ? Le pourrai-je ? Evidemment oui...), et Rezvani de nous dire enfin que Lula était toujours là.
Mais comment font-ils tous les deux, Rezvani et l'autre, accrochés à leur falaise avec leur fantome respectif, tous deux au dessus de l'abîme ? Mais toi qui es-tu pour juger Rezvani ? Pour déconsidérer ces deux petits vieux échoués sur leur récif avant le naufrage définitif, pour qui te prends-tu ? Toujours déçu par le genre humain, idéalisant l'autre et faisant peser sur lui l'opprobe que tu te gardes bien de porter sur toi, cherchant désespéremment la manette de fin frein. Stop. Les laisser mourir.

 

* en mettant en illustration la couverture de ce minable ouvrage, je me dis qu'il en restera au moins une trace quelque part, c'est-à-dire ici...

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Commentaires
K
Je viens de lire les Annees Lula. Un ami m'a proposé ce livre il y a 25 ans quand je vivait a Paris. Finalement quand j'ai recuperé mes livres je suis tombé sur cet livre apres tant annees. J'ai beaucoup aimeé. Tant des souvenirs de la France, des amants, de la boheme. (Je suis peintre/artiste) J'ai connu une femme comme Lula qui s'appelle Lola (oui, Lola) une Argentine, d'une beauté eblouissante. Merci Mr Rezvani pour un livre tres actuel, eternel.
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